Les lumineux espaces estoniens d’Heino Eller
06. August 2020.C’est certainement à l’orchestre que l’estonien Heino Eller laisse ses œuvres les plus marquantes. Quatre d’entre elles sont réunies dans cet album. Elles font suite à un premier volume, suggérant une probable anthologie placée sous la baguette d’Olari Elts.
Considéré comme le père de la musique moderne estonienne, Heino Eller naît à Tartu, dans le sud de l’Estonie. Comme la plupart des artistes des pays Baltes, il reçoit une formation à Saint-Pétersbourg, en Russie. Il étudie d’abord le droit, puis le violon et la composition, cette dernière avec Vassili Kalafati, qui est également le professeur de Serge Prokofiev et d’Igor Stravinsky. Mobilisé au cours de la Première Guerre mondiale, il poursuit, après le conflit, sa formation auprès de Maximilian Steinberg. Celui-ci compte, parmi ses élèves, Dimitri Chostakovitch. De retour en Estonie, Eller enseigne à son tour à Tallinn tout en menant une carrière de compositeur. Il forme les générations suivantes de musiciens dont les plus connus sont Eduard Tubin, Kaljo Raid et Arvo Pärt.
Nights Calls (Appels des nuits) date de 1921. L’orchestration luxuriante fait songer à la fois aux écritures de Rimski-Korsakov et, dans une moindre mesure, de Moussorgski. Les épisodes morcelés de cette page haute en couleurs ont été imaginés à la suite du souvenir d’un orage. Le caractère énigmatique, puis dansant de la pièce est restitué avec beaucoup de finesse. Nulle pesanteur ou effets de grossissement. Olari Elts traduit avec justesse, la souplesse rythmique de la partition qui doit tant au romantisme slave.
Conçue en sept parties, la suite symphonique La Nuit Blanche a été composée en 1939. Le manuscrit fut égaré durant la Seconde Guerre mondiale car le chef qui avait créé l’œuvre non-éditée, s’était réfugié en Suède. Elle fut rejouée en 1962 sous la baguette de Neeme Järvi et enregistrée par Melodiya. Les stridences des cordes et des bois encadrent les très beaux solos du cor anglais. On songe à l’écriture d’un Sibelius, sans les audaces harmoniques de celui-ci. Les brefs mouvements tels que Marche, le feu de camp, le chant du pêcheur stylisent les folklores estoniens avec un sens aigu de l’effet lyrique.
Le Crépuscule (1917) et l’Aube (1920) sont les deux premiers poèmes symphoniques de Eller. Le Crépuscule emprunte, en sa partie centrale, à l’harmonie wagnérienne. La pièce, d’une belle fraîcheur d’inspiration, évoque la nature estonienne. Elts ne force jamais le trait, ce qui modère une certaine dureté des violons de l’orchestre. Le programme s’achève par L’Aube, la plus belle œuvre de cet album. Elle débute comme une élégie avec la magnifique mélodie du hautbois soutenue par les cordes. Un espace majestueux s’ouvre devant l’auditeur. Il est parcouru de grandes envolées lyriques aux cordes. L’influence de Tchaïkovski – on songe ici aux deux dernières symphonies du musiciens russe – mais aussi du premier Sibelius est patente. La finesse de l’orchestration, la légèreté du rythme qui se teinte de motifs évoquant lointainement la musique populaire estonienne révèle la nature viscéralement pastorale de la musique de Eller.